« Magnifiquement s’étend la Montagne, s’allongeant gracieusement loin… »
Vers le lointain porteur d’espoirs ; et les frontières disparaissant,
Et l’horizon se réveillant, et les étoiles s’effaçant,
Je me lève comme si c’était
L’unique aurore de ma vie.

***
C’est avant l’aube levé, que je me mets en marche vers le lointain porteur d’espoirs.
Les étoiles dans la nuit noire ne guident pas mes pas, elles sont brillantes dans le ciel infini, mais trop faibles sur la Terre ici-bas. Une lampe dans ma main droite, un bâton dans ma main gauche, je grimpe lentement les versants de la montagne Phu Chi Fa.
A la croisée de chemins, je tourne vers la gauche, là où la piste s’entoure de végétations que l’on devine luxuriantes ; à l’abri des brûlures du midi, les arbres murmurent leur quiétude nocturne.
Quand ils s’effacent pour laisser place à un désert de pierres et d’herbes, le vent soufflant sur mes épaules se fait plus perçant et plus criant. La lune rayonne au-dessous d’une seule étoile, comme ces personnages qui l’instant d’une nuit, se font les stars de leur vie. Avec comme seuls spectateurs, des âmes solitaires, à la poursuite d’une destinée non définie et non palpable…

Je tourne sur moi-même pour essayer de percer la chaîne des montagnes de Phi Pan Nam qui m’entoure, mais mes yeux pauvres et la nuit sans pitié, m’interdisent de distinguer plus que leur silhouette impénétrable.
Battue par le crépuscule et le manque de sommeil, je m’assieds sur une roche et attends que l’astre jaune monte sur le trône qui lui est réservé chaque jour… Déjà, ses rayons colorent le ciel d’un bleu orangé, que seule l’aube peut révéler.

Je sais qu’en bas, des villages endormis se réveillent petit à petit, et que les langues qui se délient avec les chants des coqs, ne produisent pas les mêmes sons que de l’autre côté de la montagne, là d’où je viens.
C’est qu’en haut de cette montagne, je suis au Laos, ou peut-être encore en Thaïlande, qui sait. Mais en bas devant moi, c’est certain, c’est le Laos, alors que derrière, mon oreiller est en Thaïlande. Je ne verrai pas plus du Laos que ces vallées qui s’étendent à perte de vue, et les montagnes qui les protègent du froid, du chaud, de la nuit et du jour. Mais cette considération est sans intérêt. De là haut, je ne vois aucune différence. Je ne vois que les mêmes configurations, les mêmes versants, les mêmes rivières, la même brume, le même soleil.
Enveloppée dans ma couverture, je m’émerveille de cette magie : que la nature et les astres, font oublier les orées que les hommes ont créées. Je suis là où je devais être, là où je dois être sans cesse, jusqu’à ce que l’on flambe mes oripeaux et brûle mes os : une frontière sans frontière. Là où l’on pourrait aller à droite ou à gauche, en bas ou en haut, et que cela n’a pas d’importance. Quelque soit le chemin, quel que soit l’envol, là où l’on sera à notre place. Quelque soit la langue, quelque soit la forme des yeux, la couleur de la peau. Quelque soit la silhouette de la lune, et l’angle du lever du soleil…
J’aspirais à l’exotisme et je trouve dans la solitude de Phi Pan Nam, l’universalité.
On ne peut me rappeler que c’est chimérique – la police aux frontières que je croiserai plus tard le fera pour moi. Ce matin, seule l’unité de la terre et de nos vies fait sens.
Sur ce sentiment, je me lève et suis un chemin qui descend plus à gauche. Le ciel s’éclaircit et je peux à présent constater que la terre est brûlée sur quelques versants, et que la végétation est sèche là où je me dirige.
Un homme assis par terre se verse du café et je me demande d’où il vient et pourquoi, lui aussi, il est seul à admirer la beauté de Phi Pan Fam. Respectueuse de son recueillement matinal, je m’installe quelques mètres plus haut, entre deux arbres. Je commence à ressentir la fraîcheur du jour immature, et resserre un peu plus la couverture.
***
Après quelques instants à écouter le silence de la vallée et à subir la pudeur des sommets, à ressentir les mouvements subtils des herbes sous mes pieds, et à épier la disparition progressive de la lune, le véritable roi sort enfin sa couronne.
Triste roi ce matin, dont la splendeur est éclipsée par le smog qui envahit incessamment l’Indochine. Cependant, la brume qui se couche dans la vallée adoucit les contours des montagnes et gratifie l’observateur d’un spectacle enchanteur.
La lumière se diffusant petit à petit, je sonde avec ardeur un petit val, en espérant apercevoir un pli de robe, une charrette, un champ de chapeaux. Bien sûr, c’est illusoire. Perchée sur mon sommet, je ne peux que deviner quelques chemins et quelques toits. Le smog qui descend à la place de la brume, ne m’aidera pas à en voir plus.
Je décide de changer encore d’emplacement et me glisse légèrement entre quelques familles montées au point culminant de Phu Chi Fa, pour atteindre l’autre côté de la montagne. J’entame une piste assez pentue qui doit sûrement mener vers le village plus populaire de Tap Tap, alors que mon village, Rom Fa Tong, doit encore être bien silencieux.
Je continue doucement la descente quand soudainement, une force me pousse à me retourner. Est-ce à ce moment que l’on sait que l’on appartient à un tout naturel et universel. La synergie est indéniable, dans l’état d’esprit dans lequel je suis actuellement. Il n’y a pas de limites, il n’y a pas d’impossibles, il n’y a pas d’hommes qui puissent me dire : ceci n’est pas la vraie vie. Ceci…est la vraie vie, car je n’en ai qu’une seule, et c’est maintenant.
Et c’est maintenant, que je me retourne.

La falaise qui s’élève alors, surplombant l’horizon reliefé, me coupe le souffle. C’est ici, que le soleil prendra son trône. C’est ici, que je saurai que je n’aurai jamais de « chez moi », car chez moi c’est là où la Terre a décidé de me couper le souffle ; et là, c’est partout où je décide d’écouter mon cœur, mon intuition, partout où je décide de regarder vraiment, et où je décide d’apprécier ce qui m’entoure.
Contre la falaise de Phu Chi Fa, seule au milieu des montagnes, de la brume, du smog, des arbres, aussi desséchés soient-ils, je suis chez moi.
Je m’assieds dans les herbes brunies, et reste dans ce coin perdu peut-être une éternité, à contempler les sommets de ma maison. Le silence me convainc d’autant plus de ma place, que dans l’absolu, il n’est besoin de nul être pour se sentir aimée. Les versants sont mes protecteurs et le soleil mon feu. La végétation ma nourriture et le vent est mon guide. Les nuances de couleur sont les tableaux que j’accroche quelque part dans mon esprit pour apaiser ma soif d’esthétisme.
La contemplation est la paix.
Quand je suis certaine que la paix est bien installée au creux de mon âme et que la faim ne me regagnera pas pour quelques jours, je reprends mon chemin. Je contourne par en bas, le bois que j’ai traversé plus tôt. Je vois maintenant, qu’il est fait de tecks

et de pins, de palmiers et d’arbustes. C’est une véritable jungle, on ne peut apercevoir le sommet de Phu Chi Fa à travers les feuillis.
Je retrouve le premier segment du chemin que j’ai emprunté « avant l’aube levé ». Je suis encore seule sur cette piste de terre, sous un ciel de plus en plus azur. Mais quelques voix se cassent quelque part, rendant moins solitaire mon cheminement. Toutefois je ne vois personne, la forêt aveugle tous mes angles.
Pourtant, en dépit de mes pensées esseulées et mes aspirations isolées, je suis entourée de tous les espoirs de tous ces esprits, que la Montagne étendue, s’allongeant gracieusement, a mené jusqu’ici.
Quand y suis-je allée – Mars 2019
Où ai-je dormi – Je ne sais pas…C’est écrit en Thaï sur Google Maps et je n’ai pas fait de réservation, j’ai frappé à la porte le jour de mon arrivée pour demander s’il restait une chambre – à faire uniquement en basse saison (👍)
Ce que vous aimerez sûrement – Le lever de soleil de Phu Chi Fa, un must (le coucher est aussi joli mais pas aussi magique). Levez-vous pour arriver au sommet à l’aube nautique. Il est conseillé d’y aller entre décembre et février pour une meilleure vue. Continuez la journée vers Doi Pha Tang, pourquoi pas en passant par Phu Chi Dao.
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