L’automne, dans ces régions, créent des créatures à part.

Il y a là un air d’immortalité. Une immortalité non divine, puisque les Dieux n’apparaissent pas à travers la brume et les nuages. Ce sont des hommes masqués, des cris d’animaux, des chants de forêts, des murmures montagneux. Il n’existe que l’être palpable sur ces falaises. Mais ils sont tous là pour la fin des temps, et ils y étaient au début des temps. Quand tu montes sur cette montagne, que le bus avance comme un ver qui sait exactement où se trouve le nectar d’un fruit, tu vois les maisons de bois immobiles et froides, et tu sais que ce sont des cabines chaudes, où des enfants ont ri.

Le bus file encore à toute vitesse, et dépasse enfin le coton qui s’est posé depuis la veille sur les flancs et sur l’eau, et qui étouffait injustement les couleurs et les bruits des fjords. Au-dessus, c’est là, que tu trouves l’immortalité. Un ciel azur à en pleurer qui fait résonner les chants parvenus d’autres galaxies. Des montagnes qui bougent, creusées de cascades et de pierres, de roches et d’arbres. Tu ne le vois pas, mais tu sais qu’elles se meuvent. Les quelques éboulements que tu entends au loin te le rappellent. L’aigle qui passe au ras de son herbe t’ignore. Il prend une bouffée des poumons de cette région.

***
Le bus s’arrête doucement devant une cabane, et déjà, tu ne sens plus ton cœur, car il s’est momifié dans l’éternité de ce moment, dans l’immortalité de ce paysage, dans la vérité que nulle part ailleurs, et jamais plus jamais, tu ne pourras fouler telle merveille. C’est unique au monde, même s’il y en a ailleurs. C’est comme une femme que tu aimes. Tu sais qu’il y en a d’autres aussi belles, ou plus belles. Mais celle-ci, est unique au monde. Tu remontes dans le bus car tu as oublié ton manteau, et après tout, à 1500 mètres au fin fond de la Norvège en plein mois d’octobre, il fait quelque peu frais…

Les voix se cassent d’abord sur le pavé, puis, atteignant un point de rupture, elles s’enfuient dans le serpent du fjord. Et même si elles restaient encore dans les gorges et les poumons des filles qui t’entourent, auraient-elles pu vibrer. Le silence, c’est le cadeau involontaire offert à ce spectacle. Les yeux brillants, car il fait froid, car tu es émue, car le corps réagit sans que tu ne le saches, aux vibrations des montagnes, aux essoufflements des feuilles, à la danse subtile. Ce petit battement, ce petit soulèvement de haut en bas, des nuages qui voilent les villages en bas.
Un homme seul prend quelques photos avant de rester debout, silencieux et contemplatif. Les voix ont recommencé à s’élever et peut-être qu’elles brisent quelques instants sa transformation des. Peut-être aussi qu’elles le font se sentir moins seul, car il l’a dit « je n’ai personne à qui montrer une photo de moi » . Il t’intrigue cet Américain solitaire au zénith d’une immortalité viking. Tout d’un coup, tu penses qu’au Minnesota, aussi, les êtres doivent être immortels, car l’automne dans ces régions créent des créatures à part.

***
Tu reprends quelques clichés qui ne capteront jamais ce que tu vois ni ce que tu sens. Tu auras beau les revoir et les montrer à tous tes proches, tu ne verras plus sur ces clichés ce que tu as vu ce jour. Car l’immortalité ne se capture pas. Elle se vit.
Quand y suis-je allée – Octobre 2018
Où ai-je dormi – Fretheim Hotel (👍)
Comment monter au belvédère Stegastein – prenez le minibus depuis Flam, il y a des guides audios offerts avec le ticket de bus, c’est très intéressant.
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