Dans cette capitale historique et impériale,
on se réchauffe des passants.
Ma première impression ne fut pas bonne. C’était un paysage désolant. Le taxi qui nous éloignait de l’aéroport traversait des bosquets et des champs aux nuances délavées. Comme une peinture déteinte, craquelée, vidée de sa vivacité et de son esprit. Les immeubles étaient gris ou marrons, comme un grand-père malade que l’on avait négligé, laissé pour compte dans la brumaille d’une vie en fin de souffle. Certains géants de béton étaient purement délabrés. D’autres survivaient tels des fantômes qui s’accrochaient au derniers espoirs de réhabilitation sur terre. Des gens y vivaient-ils ? Ou avaient-ils fui ?
C’était 2005. Sur cette route au ciel gris, dur comme le fer, rongée par une pauvreté devinée, ma compagne de voyage et moi étions enveloppées dans une tiédeur un peu confuse, un peu désabusée. Un peu coupable.
C’est que nous étions juste venues faire du tourisme pur. Il n’y avait aucune rédemption dans notre poursuite. Nous avons décollé à Paris. Collées au hublot, émerveillées par l’éclat des sommets alpins encore enneigés, nous avons volé à peine 2h. Et nous avons atterri, les yeux pleins de lueur. Budapest.
***

Le taxi nous abandonna devant une petite maison. L’hôtel non plus ne payait pas de mine. C’était l’été, mais on avait l’impression qu’il n’avait fait qu’ensommeiller le quartier. La piscine était vide. Les chambres désuètes.
Mais les sources chaudes ne viennent pas forcément de la nature, ni des nombreux thermes qui essaiment la ville. Quand le soleil est absent, ou qu’il a perdu la lutte contre la rosée vive du matin, contre le vent perçant des clairs de lune ou le bleu brutal d’un ciel piquant, que le feu de l’âtre s’est éteint et que les radiateurs s’épuisent et toussotent, il ne reste qu’une seule mine d’or : le sourire d’un inconnu.

Le sourire des inconnus à Budapest, c’est ce qu’il y a de plus chaud. Ce n’est pas chaleureux comme un Barbadien qui vous indique le chemin sous une chaleur humide. Ce n’est pas chaleureux comme un Picard qui lève son verre à la vôtre. Ni comme une Paraguayenne que la générosité réconforte. C’est chaud.
C’est chaud comme la sincérité curieuse et étonnée qu’ils dégagent lorsqu’ils me voient. Chaud comme une petite braise qui s’éveille au fond d’eux, alors que la journée avait tamisé le feu. Chaud, comme le soleil hongrois qui finit par transpercer les vitres prussiennes et qui éclate en mille feux de sa gloire impériale.
***
J’étais une petite fantaisie dans un tableau classique d’Europe de l’Est. Une peau dorée qui reflète les rayons des astres et des manèges. Des cheveux qui vont et viennent comme les vagues d’une mer qui leur est si lointaine. Un petit accent exotique qu’ils pensaient sûrement venir du fin fonds d’un oasis africain, alors qu’il devait traduire la fracture d’une petite fille qui s’était paumée dans les plaines de l’Europe occidentale.

Mes peintres et mes observateurs étaient de tout bord. C’était une vieille dame avec son sac – que j’imaginais de façon très stéréotypée se rendre au marché. Elle s’arrêta quelques secondes pour m’examiner, puis sourire au lèvre, fit un petit geste de la main, comme un salut complice. C’était un jeune homme blond qui sortait de la bouche du métro. Malgré un premier temps d’étonnement, les yeux écarquillés, il n’avait pas attendu, devant notre hésitation visible de touristes, avant de nous demander si on avait besoin d’aide. C’était un restaurateur bedonnant qui nous servait avec des yeux pétillants et qui, me semblait-il, m’observait de son comptoir avec une joie toute retrouvée.
C’était le réceptionniste de cet hôtel tristounet. Son visage fermé, baissé dans ses cahiers, s’était relevé doucement à notre entrée puis s’était éclairé soudainement, et copieusement, à notre vue.
Mes petits rayons de soleil de ce voyage d’un autre temps.
Rien n’a pu les égaler. Le lait au chocolat chaud et le biscuit au chocolat royal, dont j’ai raffolés au Café Gerbeaud n’étaient pas aussi fondants. Le marché pittoresque dans lequel nous avons déambulé n’était pas aussi expressif. Les thermes magnifiques dans lesquels nous avons plongé n’étaient pas aussi satisfaisants. Nous avons marché de long en large, nous avons grimpé des monts, roulé en tramway, navigué en péniche. Rien ne fut aussi pénétrant que les sourires des inconnus. Ils m’ont apporté un souvenir chaud, latent et immuable.

Les particularités historiques sont en général mes puits sans fonds de joie et de gratitude. L’impressionnant Parlement hongrois devant lequel on voguait lors d’un après-midi de croisière, renvoyait l’atmosphère majestueuse de la ville. L’édifice était édifiant… Le funiculaire nonchalant qui rabotait la colline du palais de Budavár, rendait l’expérience plus authentique. Le pont des Chaînes était magistral. Le mont Gellért était pictural…
Ces bâtiments d’une autre époque, aussi riches soient-ils, ne sont que des cartes postales laissées là dans mon esprit. Alors que le sourire de Monsieur le réceptionniste, est comme une empreinte sur mon cœur.

Quand y suis-je allée : Eté 2005
Les souvenirs logistiques m’ont déserté, il ne reste que mes sensations et mes impressions…
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