La voiture file à toute allure sur les abords du Pacifique, ignorant les buildings immobiles qui nous regardent d’un air un peu provoquant, un peu fier.
Tout est en accéléré, comme dans un rêve flou dont on se rappelle parfaitement.
Au fur et à mesure que la ville s’éloigne et se contracte, le ciel s’ouvre et se dilate. La couleur bleue fait place aux nuances orangées. De ponts en ponts, de palmiers en palmiers, de nuages blancs en nuages roses, nous oublions la cité et nous laissons pénétrer par la sérénité langoureuse de l’avenue qui nous entraîne vers les reliefs et îlets Calzada de Amador. La radio entre dans le jeu et crépite quelques mots doux en espagnol. Le soleil chauffe mes joues et les vrombissements des moteurs me bercent. Je déconnecte, l’esprit totalement libre.

Nous arrivons dans une petite marina, typiquement calme et joyeuse, emplie d’odeurs salées et du bruit des coques qui dansent au rythme du clapot. Je me prends pour Bardot sur la côte d’Azur. Les femmes sont plus belles les unes que les autres et les hommes ont le sourire bienheureux. Les oiseaux bienveillants tournent au-dessus de nous et je me sens comme sur un carrousel : la tête qui tourne à contre-sens de l’univers, le sang qui bouillonne plus fort que l’océan écumant les roches du quai.
Nous montons dans un bateau qui bien que plus gros, ne paie pas de mine à côté des voiliers endoloris de la baie. Cela ne nous arrête pas. Pompette rien qu’à la vue des bulles de champagne, qu’un beau jeune homme nous tend en murmurant bienvenidos, je me laisse emportée par l’euphorie de cette fin de journée. La soirée est prometteuse. Nous apercevons à l’horizon les tours de verre de la ville, qui reflètent les rayons du soleil descendant et les rêves des passagers plein d’espoir. La mer est lisse, les voiliers sommeillent. Les rires s’envolent, les robes tourbillonnent. Les éclats de voix transpercent le ciel. Tout ce beau monde s’électrise, un groupe d’inconnus en fusion pour partager ce moment précieux et intemporel. Le vent est frais mais les joues sont en feu, les yeux brillent, les corps s’attisent, les esprits se consument. Les bulles continuent de pétiller et les gorges se déploient de plus belle. Les navires et yachts que l’on croise ravivent notre imagination. Nous exultons. Nous devenons intouchables. Dans cette bulle d’insouciance, de champagne, de flash et lumières blanches, de coucher de soleil, de beauté et d’arrogance à la Gatsby, nous oublions tout ce qui n’est pas devant nous. Nous sommes… les nouveaux Immortels.

Et devant nous, alors que la nuit avance, se dresse une petite île aussi magnifique qu’authentique. Ses lumières s’allument et nous débarquons en sautillant et en nous pavanant, dans des voix rauques et des rires chauds, la démarche balancée par le champagne dans nos veines et la houle de la mer.
Deux camionnettes nous transportent à travers des petites rues, et du Panama, nous nous retrouvons en Italie, ou peut-être en Croatie, ou en Grèce. Ou en Colombie. C’est un lieu parsemé de feuilles tombantes, de pavés et de petites maisons.

La demeure où nous allons dîner est à couper le souffle. Tout est fait pour tomber amoureux. Et amoureux nous le sommes tous, entre couples, entre amis, entre famille… entre inconnus. Les tables se rapprochent, le vin coule, les rires se font plus forts mais aussi plus intimes. Tandis que la nuit s’installe, les lumières des cargos nous rendent un spectacle aussi étonnant que fascinant. La ville n’est plus utile : tous ces navires marchands nous servent d’ilots de lumière irradiant l’océan. Il y a des vies là-bas. Du mouvement. De leurs cent feux, les bateaux nous rappellent que même sur l’eau, nous sommes conquérants…
Tout d’un coup, la lumière du restaurant se coupe. Le quartier sur notre droite devient noir. La nuit devient encore plus agitée : la bonne humeur se décuple, les railleries fusent, les regards doux se croisent. Le palais fond sous les délices du festin de poissons, viandes et soupes que l’on nous sert comme à des rois byzantins, des tribuns romains, des jefes colombiens… Quel banquet !
Assise au bord de la fenêtre grande ouverte, j’observe la petite église éclairée du village. La pièce sombre du restaurant alliée au tinto me donnent envie de dormir. Je m’imagine me glisser sous un drap dans une de ces petites maisons, fenêtres ouvertes, rideaux volant, comme une jeune Belluci dans un vieux film italien.
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Quand la lumière revient et que le piano commence à jouer quelques notes vénézueliennes, la réalité d’ailleurs essaie de nous rattraper. Nous lui échappons de justesse en montant quelques marches de la demeure, pour admirer d’en haut, la beauté du lieu. Nous nous accrochons à tout ce qui nous éloignerait encore de cette réalité d’ailleurs. On se serre, on se câline, on titube, on rit un peu plus. Mais quand la camionnette nous ramène au bateau, nous laissons toute cette énergie derrière, comme si nous voulions laisser un peu de nous dans ces rues, à cette terrasse, derrière cette fenêtre, devant les cargos, sur cette petite île. Finalement, nous nous échouons comme des coquilles vides.
La nuit se termine et j’ai peut-être laissé la-bas un peu de mon âme. Mais la magie n’est jamais complètement perdue et j’ai aussi pris avec moi, un peu de l’âme de Taboga.
Quand y suis-je allée : Février 2018
Ce que vous aimerez sûrement – le restaurant où nous avons dîné : La Vista || Ouvert du jeudi au samedi, il faut réserver à l’avance car les places sont très limitées. Le prix comprend le déplacement en bateau avec champagne, ainsi que le repas qui consiste en un seul menu pour tous comprenant le vin et un assortiment de divers plats – légumes, soupes, viandes, poissons… Vous pouvez les informer à l’avance si vous êtes allergique, végétarien ou enceinte pour qu’ils puissent prévoir des plats adaptés à votre situation. Prenez votre passeport avec vous.
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